Le neurodroit consiste en l’incursion du système juridique dans le système scientifique. Il s’agit du droit du cerveau.
Il est impossible de s’intéresser au neurodroit, sans étudier les neurosciences, à savoir l’étude scientifique du système nerveux, dont l’application juridique est le neurodroit.
La naissance du neurodroit
Plusieurs découvertes et évolutions majeures ont amené notre société à prendre la direction du neurodroit.
La première incursion du droit dans la science remonte à l’exploitation de l’ADN à l’occasion de l’affaire Colin Pitchfork. Cette affaire, qui concernait deux viols commis en 1983 et 1986, est la première dans laquelle un suspect est innocenté grâce à la comparaison de son ADN avec les traces de semences prélevées sur les victimes. Dans cette même affaire, un autre individu est identifié grâce à son ADN, permettant ainsi de le confondre avec celui retrouvé sur les lieux.
En effet, chaque individu possède un ADN propre renfermant son patrimoine génétique. C’est ce qu’a découvert le Docteur Alec Jeffreys en 1985. Cela permet de relier avec certitude une trace d’ADN à un individu.
Depuis, l’exploitation de l’ADN d’une personne pour la comparer avec les éléments retrouvés sur les lieux d’un crime s’est généralisée et a été encadrée par le législateur.
La loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure a ainsi modifié le code de procédure pénale pour préciser dans quelles conditions les prélèvements nécessaires à la détermination des empreintes génétiques peuvent être effectués afin de faciliter l’identification des auteurs de certaines infractions.
Certaines des empreintes génétiques ainsi obtenues peuvent être enregistrées dans le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG).
Une autre branche du neurodroit concerne l’étude des problèmes moraux soulevés par la recherche biologique, médicale ou génétique : la bioéthique. En effet, les avancées technologiques ainsi que de la biologie et de la médecine soulève certains problèmes moraux et nécessite un encadrement particulier afin de pouvoir avancer tout en respectant les droits de l’Homme.
De la même manière que pour l’ADN, une loi a été adoptée en France pour encadrer la bioéthique. Cette loi, datant de 1994, a fait l’objet de plusieurs évolutions, en raison de l’avancée des techniques médicales et des découvertes survenues au cours des années. Ces évolutions légales sont intervenues en 2004, 2011 et 2013. Une nouvelle modification de la loi est prévue pour la fin de l’année 2018.
C’est ainsi que l’article 45 de la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique (1) créé les articles 16-14 du Code civil et L.1134-1 du Code de la santé publique :
Article 16-14 du Code civil :
« Les techniques d’imagerie cérébrale ne peuvent être employées qu’à des fins médicales ou de recherche scientifique, ou dans le cadre d’expertises judiciaires. Le consentement exprès de la personne doit être recueilli par écrit préalablement à la réalisation de l’examen, après qu’elle a été dûment informée de sa nature et de sa finalité. Le consentement mentionne la finalité de l’examen. Il est révocable sans forme et à tout moment. ».
Article L.1134-1 du Code de la santé publique :
« Un arrêté du ministre chargé de la santé définit les règles de bonnes pratiques applicables à la prescription et à la réalisation des examens d’imagerie cérébrale à des fins médicales. Ces règles tiennent compte des recommandations de la Haute Autorité de santé. »
Il est ainsi permis le recours à l’imagerie cérébrale dans le domaine judiciaire, notamment pour déterminer le préjudice subi par une personne. Cette utilisation n’est permise qu’après recueil du consentement de la personne concernée une fois celle-ci informée de cette utilisation.
L’utilisation de l’imagerie cérébrale semble avoir plus d’impact au stade de l’expertise judiciaire pour le moment, qu’au stade de la preuve ; l’utilisation d’une image du cerveau au cours d’un procès n’étant pas encore démocratisée.
La nouvelle loi bioéthique attendue pour la fin de l’année 2018 permettra sans doute une utilisation de l’imagerie médicale plus importante sous l’angle de la preuve pénale.
En effet, les Etats généraux de la bioéthique, ouvert depuis le 18 janvier 2018, ont prévu de débattre, entre autre, sur le sujet des neurosciences au regard du développement des techniques d’imagerie (2).
En revanche, l’utilisation de l’imagerie dans le procès pénal aux Etats-Unis est fréquente et s’est banalisée. Le procès Herbert Weinstein en 1991 est l’un des premiers et certainement des plus connus. Ce dernier plaida l’irresponsabilité pénale en raison de la présence d’un kyste prouvé à l’aide d’imagerie cérébrale.
Depuis, 614 cas aux Etats-Unis ont eu recours à l’imagerie par résonnance magnétique fonctionnel dans le cadre d’une procédure juridique.
Les neurosciences : l’étude du cerveau
Les neurosciences regroupent l’ensemble des disciplines étudiant le système nerveux. L’objectif étant d’expliquer le fonctionnement du cerveau humain.
Les neurosciences s’organisent autour de huit grands axes (3) :
- neurobiologie du développement ;
- neuroanatomie ;
- neurobiologie moléculaire et cellulaire ;
- neurochimie et neuropharmacologie ;
- neuroendocrinologie ;
- neurosciences cliniques ;
- neurophysiologie ;
- sciences cognitives ;
- neurosciences théoriques.
Les sciences cognitives, qui nous intéressent le plus d’un point de vue juridique, sont l’étude et la modélisation de disciplines scientifiques et de phénomènes de la pensée humaine, animale ou artificielle : la perception, l’intelligence, le langage, la mémoire, l’attention, le raisonnement, les émotions ou même la conscience afin d’en comprendre le fonctionnement et l’organisation.
Cette technique traite les informations provenant des neurones, définis comme des cellules du système nerveux permettant le passage de l’influx nerveux du cerveau au corps afin de traiter l’information. En arrivant à une synapse, les influx permettent d’assurer la transmission du signal.
En captant ce signal, l’être humain pourrait analyser l’interaction des différentes cellules du cerveau humain pour en extraire l’information souhaitée.
Aujourd’hui, ces informations consistent à identifier des anomalies morphologiques ou fonctionnelles qui puissent expliquer un symptôme ayant nécessité l’indication d’une imagerie.
Deux types d’imagerie existent :
- l’imagerie structurelle (IRM) ;
- l’imagerie fonctionnelle (IRMf).
L’imagerie structurelle, à savoir l’imagerie par résonnance magnétique (IRM) est pour la première fois commercialisé en 1980. Cette technique est issue de la découverte du phénomène de la résonnance magnétique nucléaire par Bloch et Purcell en 1946 et permet de fournir des images du corps humain de très haute qualité, avec des informations à valeur anatomique et des informations très variés, dites « de signal » explorant les propriétés magnétiques de la matière. Cette technique est utilisée pour localiser et mesurer les différentes parties du cerveau.
L’imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle (IRMf), est utilisée pour voir les différentes parties du cerveau en action lors d’un processus précis.
Il s’agit d’une technique récente d’exploration fonctionnelle fondée sur l’IRM. Cette technique permet de visualiser de manière indirecte l’activité cérébrale et la structure tridimensionnelle du cerveau.
Cette technique permet un enregistrement du cerveau et de l’activité cérébrale lorsqu’elle est en mouvement et est stimulée volontairement par des éléments extérieurs.
L’analyse des données issues de l’IRM fonctionnelle s’effectue le plus souvent après la fin de l’acquisition, sur une console indépendante équipée des logiciels nécessaires.
Cette technique n’a encore jamais été utilisée comme instrument de preuve pénale en France car elle n’est à ce jour pas considérée comme suffisamment fiable, n’étant qu’une mesure indirecte de l’activité neuronale (4).
Ces différents processus permettent d’analyser le cerveau afin d’en comprendre le fonctionnement et d’arriver à l’objectif déterminé.
Les enjeux du neurodroit
Le neurodroit crée un certain nombre d’enjeux sur le plan juridique. En effet, étudier le cerveau permet d’en extraire les informations pertinentes pour une question donnée. Notamment, en matière de preuve pénale, plusieurs techniques pourraient permettre d’exploiter des pensées afin d’en tirer une information. Ce serait, par exemple, le cas de l’hypnose, de l’exploitation de l’imagerie cérébrale ou encore des détecteurs de mensonge.
Le recours à ces techniques à l’occasion d’un procès pourrait permettre de prouver la culpabilité d’un individu, de déterminer l’étendue de sa conscience, son intention à commettre un crime passé ou futur pourrait bouleverser le procès de demain.
Cependant, comme toute avancée, il convient d’appréhender ses dérives et d’encadrer son exploitation. C’est pourquoi en France, le neurodroit est encore peu fréquent et seule la loi bioéthique de 2011 permet l’utilisation des neurosciences comme élément de preuve pénale.
Le neurodroit vise ainsi l’utilisation des informations recueillies à l’occasion de l’étude du cerveau pour une exploitation légale. L’utilisation du neurodroit peut avoir un objectif :
- répressif : afin de confondre un criminel ;
- préventif : afin de prévenir le passage à l’acte d’un individu identifié comme dangereux ;
- thérapeutique : afin de développer des méthodes de remédiation.
Virginie Bensoussan Brulé
Debora Cohen
Lexing Contentieux numérique
(1) Loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, art. 45 : Neurosciences et imagerie cérébrale.
(2) Les Etats généraux 2018 de la bioéthique.
(3) Fédération pour la recherche sur le cerveau, les neurosciences.
(4) Laura Pignatel, Victor Geneves, État de l’art « droit et neurosciences », HAL Sciences de l’Homme et de la Société, 1er mars 2017.