Par une décision du 23 avril 2021, le Tribunal judiciaire de Nancy a sanctionné l’opérateur d’une plateforme hébergeant des contenus illicites pour contrefaçon.
Condamnation d’un opérateur de plateforme hébergeant des contenus illicites
L’opérateur de la plateforme a été condamné à une peine de 100 000 € d’amende et l’administrateur du site de téléchargement à un an de prison avec sursis et 20 000 € d’amende pour contrefaçon de fichiers protégés par un droit d’auteur ou un droit voisin.
Par ailleurs, il devra payer aux divers ayants droit (studios de cinéma, SACEM et SCPP), la somme totale de 780 000 € en réparation de leur préjudice matériel.
De la même manière, une décision du Tribunal judiciaire de Paris, rendue le 25 mai 2021 au bénéfice de la société NINTENDO, a condamné ce même opérateur de plateforme au paiement de la somme de 935 500 € en réparation de son préjudice matériel pour contrefaçon.
Lors de l’annonce de sa décision, le Tribunal judiciaire de Paris a rappelé aux hébergeurs techniques qu’ils étaient tenus de retirer tous les contenus illicites de leur plateforme dès qu’ils en ont connaissance et que cette prise de connaissance peut être le fruit d’une simple notification d’un ayant droit.
Des jugements sévères à l’encontre des hébergeurs
Pour expliquer la sévérité de ces jugements, un rappel historique des faits est nécessaire.
La plateforme héberge des fichiers et des contenus de tiers. Son rôle est d’héberger des contenus postés par des tiers. Les fichiers stockés sur les serveurs de la plateforme prennent la forme de l’adresse URL du fichier hébergé ; ils sont accessibles à n’importe quel internaute disposant de cette adresse URL. La personne qui poste le fichier est appelée « uploader ». Elle peut choisir de protéger le fichier par un mot de passe.
Cette pratique permet de stocker des fichiers volumineux de toutes natures : photos, vidéos, etc.
Le stockage de fichiers utilisé à des fins de contrefaçon
Les pirates informatiques ont rapidement compris l’intérêt d’utiliser cette technologie de stockage pour la diffusion d’œuvres protégées par un droit d’auteur ou un droit voisin car celle-ci par sa nature (le téléchargement direct à partir d’un serveur et non pas à partir de l’ordinateur d’un internaute ayant choisi de diffuser le fichier) échappe à la surveillance des réseaux Peer to Peer effectuée notamment par la Hadopi.
En conséquence, de nombreux forums pirates se sont spécialisés dans le référencement de liens de téléchargement non autorisés. Ces forums ont été organisés pour maximiser leur audience avec des catalogues très fournis, s’affranchissant de toute réglementation, comme la chronologie de médias, et surtout du paiement de droits à leurs titulaires légitimes.
Les forums pirates ont cherché à dégager des bénéfices financiers de leur activité, en prévoyant, par exemple, la possibilité de recevoir un don financier de leurs membres ou en ajoutant des bannières publicitaires sur leur site.
De nombreux forums ont été poursuivis pour atteinte aux droits d’auteur et aux droits voisins (zone téléchargement, wawa mania, etc.) ; mais les actions des titulaires de droits ont été plus rarement dirigées contre un hébergeur technique, comme c’est le cas dans la présente affaire.
Il existe pourtant un célèbre précédent avec la fermeture médiatisée par le FBI de la plateforme d’hébergement de fichiers « Megaupload » le 19 janvier 2012 et dont le créateur n’a toujours pas été jugé presque 10 ans après les faits.
Responsabilité de l’opérateur de plateforme, hébergeur
Juridiquement, les opérateurs de plateformes de stockage de fichiers sont assimilées à des hébergeurs techniques et, de ce fait, ils sont soumis aux dispositions de la loi du 21 juin 2004 sur la confiance dans l’économie numérique.
L’article 6 de cette loi évoque la responsabilité de ce type d’intermédiaire technique quant à l’hébergement de contenu illicite :
« 2. Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible. »
(…)
« Les personnes visées au 2 ne peuvent voir leur responsabilité pénale engagée à raison des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicites ou si, dès le moment où elles en ont eu connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces informations ou en rendre l’accès impossible. »
(…)
« Compte tenu de l’intérêt général attaché à la répression de l’apologie des crimes contre l’humanité, de la provocation à la commission d’actes de terrorisme et de leur apologie, de l’incitation à la haine raciale, à la haine à l’égard de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap ainsi que de la pornographie enfantine, de l’incitation à la violence, notamment l’incitation aux violences faites aux femmes, ainsi que des atteintes à la dignité humaine, les personnes mentionnées ci-dessus doivent concourir à la lutte contre la diffusion des infractions… ».
On peut dès lors distinguer deux types de contenus illicites :
- les contenus dits odieux (par exemple apologie de crime contre l’humanité, pédopornographie), pour lesquels les titulaires de droits doivent mettre en place un dispositif facilement accessible et visible permettant à toute personne de porter à leur connaissance ce type de données et informer promptement les autorités publiques compétentes de toutes activités illicites, et
- ceux illicites dont la notification au prestataire technique relève des titulaires de droits.
Les contenus notifiés par un titulaire de droit
Les notifications des ayants droit doivent respecter des conditions de forme assez strictes qui sont expressément prévues par la LCEN :
-
- date de la notification,
- si le notifiant est une personne physique : ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ;
- si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l’organe qui la représente légalement ;
- les nom et domicile du destinataire ou, s’il s’agit d’une personne morale, sa dénomination et son siège social ;
- la description des faits litigieux et leur localisation précise ;
- les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des dispositions légales et des justifications de faits ;
- la copie de la correspondance adressée à l’auteur ou à l’éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou la justification de ce que l’auteur ou l’éditeur n’a pu être contacté.
Hormis ces informations obligatoires, aucune obligation quant à la forme de la notification n’est exigée par la loi. Par exemple, il n’y a pas d’obligation pour le titulaire de droit d’envoyer un courrier recommandé ou un courrier simple à l’hébergeur. La forme de la notification reste à l’entière discrétion de la personne qui a notifié le contenu qui pourra se contenter d’un simple mail, étant précisé toutefois qu’il est impératif de pouvoir prouver le contenu de la notification et sa date.
Les précédents de l’affaire
Dans cette affaire, plusieurs contenus contrefaisant des œuvres protégées par un droit d’auteur ou un droit voisin ont été notifiés par l’ALPA, la SACEM et la SCPP à la plateforme.
Cette dernière a systématiquement refusé de supprimer les contenus ainsi notifiés au motif que « les demandes de retrait de contenus contrefaisants ne relevaient pas de la procédure de notification instaurée par la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), l’obligation de retrait de l’hébergeur ne s’appliquant selon elle qu’aux seuls contenus manifestement illicites à savoir les « contenus relatifs à la pornographie enfantine, à l’apologie des crimes contre l’humanité, à l’incitation à la haine raciale» et non aux contenus violant des droits de propriété intellectuelle. »
La plateforme a par ailleurs suggéré aux ayants droit des victimes de contrefaçon « soit de saisir un juge pour voir ordonner le retrait des contenus litigieux, soit de souscrire un contrat de prestation de service pour envisager le retrait des contenus sur une base contractuelle ».
Ayant constaté que les contenus restaient disponibles malgré leur notification, les ayants droit ont déposé plainte contre la plateforme de stockage pour contrefaçon.
Téléchargement illégal vaut préjudice
L’enquête judiciaire a démontré que plusieurs millions de téléchargements avaient été effectués post notification et c’est à partir du nombre de téléchargements rendus possibles par l’absence de suppression des contenus notifiés que se sont basés les ayants droit pour quantifier leur préjudice matériel.
L’opérateur de la plateforme a bien tenté de faire annuler la procédure en demandant le rejet des procès-verbaux de constat des agents assermentés de la SACEM, de l’ALPA ou de la SCPP ou même en posant une question préjudicielle à la CJUE sur ce sujet. Mais rien n’y a fait, l’opérateur de la plateforme a finalement été condamné comme co-auteur de l’infraction de contrefaçon par diffusion, communication et mise à disposition au public d’œuvres protégées à compter de la date de notification + 7 jours.
Le juge a considéré que l’opérateur, en sa qualité d’hébergeur, disposait de 7 jours pour supprimer les contenus qui lui avaient été notifiés.
Anthony Sitbon
Directeur du département Sécurité
Lexing Technologies
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